Crédits photo : D. Morel – Licence CC BY-NC-SA
Nos efforts portent leurs fruits, mais il y a plus de travail que jamais.
Cette semaine nous avons reçu deux nouvelles. Une bonne, et une mauvaise.
Comme nous vous l’avions indiqué il y a quelques semaines, Dorian Guinard, Maître de conférences à Sciences Po Grenoble et membre de notre association, a fait parvenir une contribution extérieure aux membres du Conseil Constitutionnel qui devaient se prononcer sur la conformité à la Constitution de la loi qui permet des dérogations à l’interdiction de l’utilisation des néonicotinoïdes.
La mauvaise nouvelle est que cette contribution, qui est venue alimenter celles produites par d’autres associations et professionnels du droit, n’a pas suffi à ce que les membres du Conseil Constitutionnel jugent cette loi comme non conforme à la Constitution.
Pour rappel, le Conseil Constitutionnel avait notamment été saisi pour que soit constitutionnalisé le principe législatif de non-régression, selon lequel le droit de l’environnement ne peut faire l’objet que d’une amélioration constante, et qui peut être déduit de l’article 2 de la Charte de l’environnement (qui fait partie de l’ensemble des normes de valeur constitutionnelle). Cet article dispose que “Toute personne a le devoir de prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement.” (art. 2).
Dans son communiqué de presse, il est indiqué que “le Conseil constitutionnel relève que ces produits ont des incidences sur la biodiversité, en particulier pour les insectes pollinisateurs et les oiseaux, ont des conséquences sur la qualité de l’eau et des sols et induisent des risques pour la santé humaine”.
Malgré ces incidences, les juges ont estimé que cette loi ne méconnaissait aucune exigence constitutionnelle, du fait, premièrement, de sa seule application pour la filière des betteraves sucrières, et deuxièmement de son caractère transitoire (jusqu’au 1er juillet 2023).
Or, d’une part, cette dérogation transitoire est justifiée par la recherche d’alternatives, alors même que ces alternatives devaient être recherchées depuis 2016, date d’interdiction de l’utilisation néonicotinoïdes par la loi. D’autre part, notre contribution a démontré, en s’appuyant sur un ensemble de données scientifiques, que ces atteintes transitoires sont en fait irréversibles : lesdites substances continuent de produire des effets bien après l’introduction de semences dans les sols, notamment à travers les processus de « bioaccumulation » et de rémanence importante de ces substances.
Au-delà de cette nouvelle et du raisonnement juridique derrière, nous considérons que l’impact sur la biodiversité des sols, la pédofaune et la pédoflore, a donc été sous-estimé. Non seulement par la loi contestée, mais aussi par le raisonnement conduisant à cette décision.
En effet, le juge constitutionnel estime que :
“ les dispositions contestées n’autorisent que les traitements directement appliqués sur les semences, à l’exclusion de toute pulvérisation, ce qui est de nature à limiter les risques de dispersion de ces substances. D’autre part, en application du dernier alinéa du paragraphe II de l’article L. 253-8, lorsqu’un tel traitement est appliqué, le semis, la plantation et la replantation de végétaux attractifs d’insectes pollinisateurs sont temporairement interdits, afin de réduire l’exposition de ces insectes aux résidus de produits employés.”. (Considérant 23)
Le risque sur la pédofaune, que l’usage des néonicotinoïdes met gravement en danger (nous publierons une synthèse de l’article de Pelosi et al 2020 sur le sujet) nous apparaît comme ayant été oublié. Comme nous l’expliquions, les organismes du sol et du sous-sol bio accumulent les néonicotinoïdes, ce qui interroge la pertinence de l’argument du caractère transitoire de la mesure compte-tenu de la durée de ses effets qui pourraient perdurer après la fin de la dérogation.
Nous faisons la double hypothèse que :
- d’une part la reconnaissance du principe de non-régression aurait des conséquences politiques majeures – c’est d’ailleurs ce que nous souhaitons – et il est possible que le Conseil Constitutionnel ait perçu la possibilité d’une reconnaissance de ce principe comme une décision outrepassant sa compétence strictement juridictionnelle et constitutionnelle ;
- et d’autre part, que la pédofaune ne jouit pas d’une grande considération aujourd’hui, une situation dont la résolution est précisément l’objectif que nous nous sommes donné.
Mais par ailleurs, nous avons aussi une excellente nouvelle. Nous avons réalisé un référé-suspension et un recours en annulation contre une dérogation à la protection d’espèces animales et végétales, en particulier de deux espèces de papillons, en vue de la réalisation de travaux pour la refonte d’un télésiège de Tignes.
Les travaux ont déjà commencé, mais le juge a statué en faveur de nos arguments, et les travaux ont donc été suspendus, en attendant que le juge du fond statue sur l’annulation définitive.
Cette décision favorable reflète le fort enjeu politique que nous mentionnions autour de la biodiversité. En effet, certains journaux ont partagé la nouvelle de la décision du juge grenoblois, et le site du Tribunal administratif de Grenoble l’a publiée également, de façon assez exceptionnelle.
Il est possible que le caractère inoffensif, esthétique et délicat des papillons dans les représentations sociales justifie un traitement médiatique différencié par rapport à nos autres recours. En tout cas, cette décision semble être perçue comme une avancée de taille pour la biodiversité.